Ballade nocturne

Souffrance se baladait le long de la rivière de sang par une nuit sans lune ni étoiles. Grâce , ou à cause, d'elle, deux nouveaux cadavres flottaient dans la rivière de sang. Elle avait trouvé deux tourtereau revenant de la plaine des juments. Elle avait eu un malin plaisir à leur faire ressentir une haine terrible envers l'autre. Elle s'était amusée à la voir se battre à côté de la rivière. L'étalon avait poussé la jument dans l'eau et elle s'était noyée. Mais, rendu naïf par l'effet du charme, il avait cru qu'elle était encore vivante. Il s'était alors jeté à l'eau et noyé à son tour.
Toute contente d'elle, elle poursuivit sa ballade au petit trot. Elle trouva un coin de la rivière ou l'eau était peu profonde. Elle regarda autour d'elle pour s'assurer qu'il n'y avait personne puis, ne résistant plus, se roula dans l'eau. Enfin, dans le sang. Elle se releva et aperçut un mouvement dans les buissons. Elle pointa ses oreilles dans cette direction, attentive.

Souffrance huma l'air. D'après les odeurs, un étalon l'observait. Elle poussa un petit hennissement pour l'inviter à la rejoindre. Mais n'ayant pas envie d'attendre elle se dirigea dans la direction où il était supposé se trouver. Elle avait pris la bonne direction et se trouva face à l'autre cheval.
Elle le dévisagea et la petite Souffrance d'autrefois resurgit une fois encore. Elle redevenait une pouliche de lumière au futur difficile. Avec ses yeux enfantins elle voyait en l'étalon un confident. Quelqu'un qui comprendrait ces douleurs, quelqu'un qui saurait qu'une âme bonne habite encore ce corps.
Sous le flot d'émotions qu'elle contenait à grand peine, Souffrance se coucha, fixant le sol. Elle avait déjà vu l'étalon quelque part mais n'arrivait pas à mettre un nom sur cette tête. Elle demanda, regardant les sabots noirs du cheval :


-Qui es-tu ? dit-elle d'une voix douce, presque en murmurant.

L'étalon gris ne lui avait pas répondu. Pire même, il était en colère, énervé. La Souffrance "diabolique" reprit sa place et, voyant l'antérieur de l'étalon gris se levé, elle se dit :

"Il veut me tuer ou quoi ? Je ne me laisserai pas faire, il ne me connais pas. Je ne suis pas une de ses fragiles juments...


Elle se leva d'un bon et enfoui ses oreilles dans sa crinière. Elle faisait la même taille que l'étalon. Elle commença à gratter le sol avec son sabot d'un air menaçant.

-Je veux juste savoir qui tu es, parler avec toi et te connaître. Ca te vas comme réponse ? Et ne pense pas pouvoir me dominer, me blesser ou même me tuer je suis aussi forte que toi. Ne crois pas que je suis fragile.

Elle se tut un instant, guettant une réponse. Celle ci ne venant pas , elle reprit :


-Je m'appelle Souffrance. Et toi ?

Souffrance baissa la tête en signe de lassitude. Ce qu'il pouvait l'ennuyée , cet étalon, avec son air supérieur ! Elle lui aurait volontiers infligé une bonne correction mais une petite voix lui souffla de ne pas faire cette "bêtise" .

-Je n'aime pas que les chevaux que je rencontre restent des inconnus ! PRESENTE TOI !

L'étalon se fit de plus en plus menaçant, lui indiquant d'arrêter, de faire attention. Elle sourit en voyant tant d'acharnement à lui faire peur. Elle décida de faire l'indifférente: elle fit demi tour puis avança sur deux ou trois mètres avant de s'arrêter et lancer :


-Tu me fais peur je m'en vais.


Bien sur, elle ne pensait pas un mot de ce qu'elle avait dit et l'avait bien fait comprendre à l'étalon par le ton ironique qu'elle avait employé. De plus, il l'avait traité de musaraigne ! "Il s'est regardé, celui-là ?" s'était-elle dit. Ces petits animaux étaient ses victimes, rien d'autre ! Elle avança encore un peu, lentement mais sans s'arrêter.


"Qui m'aime me suive !